Focus sur le CERN
par Marie-Hélène Carron (promo 2023) | Le Paraxial n°4 – 1 septembre 2022
À l’occasion de mon stage de 2ème année, j’ai eu la chance de travailler au CERN (Conseil Européen pour la Recherche Nucléaire) auprès des physicien·nes et ingénieur·es de l’expérience ATLAS, l’une des quatre principales expériences du LHC (Large Hadron Collider). Au-delà de sa renommée internationale, du gigantisme de ses installations et des prouesses de ses détecteurs, le CERN, créé en 1952 et situé à la frontière franco-suisse, est également un centre de recherche à l’organisation et à l’atmosphère uniques que je voulais partager avec les lecteurs et lectrices du Paraxial. Sauf mention du contraire, les photographies données en illustration ont été prises durant le stage.
L’efficacité et l’excellence du CERN réside certes en la qualité de ses installations et de son personnel, mais aussi et surtout dans la diversité et la solidité de ses collaborations. En effet, si seulement 3000 personnes (étudiant·es inclus·es) environ sont employées de façon permanente par le CERN, la majorité du personnel technique et scientifique (environ 17 500 personnes) collabore avec le CERN au nom de leurs laboratoires respectifs.
La plupart des emplois requiert d’avoir la nationalité de l’un des états-membres du CERN. Au nombre de 23, les états-membres sont représentés au Conseil du CERN et doivent lui verser une contribution proportionnelle à leur PIB. Les étudiant·es de certains pays, qualifiés d’états associés (comme l’Inde ou l’Ukraine), peuvent aussi effectuer un stage ou une thèse au sein de la prestigieuse institution.
Le Large Hadron Collider (ou LHC)
Le LHC est un accélérateur de particules consistant en un anneau de 27 km possédant des aimants supraconducteurs et des dispositifs visant à maintenir une énergie des particules le long de leur trajet, à une vitesse proche de 3.108 m/s. Avant d’arriver au LHC, le faisceau de particules est accéléré par une succession d’accélérateurs plus petits (Linac4, PS, SPS). Deux faisceaux traversent le LHC via des tubes avec une pression inférieure à 10-6Pa dans des directions opposées et sont guidés par des aimants refroidis pour se rapprocher d’une température de 1,9 K avant d’entrer en collision. Il possède quatre expériences principales : ATLAS, CMS, ALICE et LHCb. Depuis début juillet 2022, soit le début du « Run3 », l’énergie nominale des particules atteint 13.6 TeV avec un milliard de collisions par seconde. C’est grâce à ce détecteur que, le 4 juillet 2012, une preuve expérimentale de l’existence du boson de Higgs a été apportée.
Voici une interview d’Henric WILKENS, physicien des particules pour l’expérience ATLAS, travaillant sur le détecteur TileCal :
Le Paraxial : Pourriez-vous vous présenter et nous expliquer ce que vous faites au quotidien ?
Henric Wilkens : Je m’appelle Henric Wilkens et je suis physicien au département de physique expérimentale du CERN. J’ai fait mes études en France, à l’école supérieure de physique de Marseille (actuelle Centrale Marseille). En parallèle de ma dernière année, j’ai fait le DEA de Physique des Particules, Physique Mathématique et Modélisation au Centre de Physique des Particules de Marseille. Après une thèse portant sur une expérience du CERN, je suis devenu boursier (Fellow) du CERN, que je n’ai plus quitté depuis, et où j’ai eu différentes fonctions. Je suis en ce moment chef de projet adjoint pour le calorimètre hadronique central (TileCal) de l’expérience ATLAS au LHC. Ce détecteur est essentiel à la détermination de l’énergie des particules hadroniques (i.e. composées de quarks) issues des collisions de protons. Ma journée commence généralement par une réunion faisant le point sur l’état de notre système durant les dernières 24h et du planning des activités pour la journée pour le LHC et l’expérience ATLAS. Ensuite, je m’occupe de la supervision des étudiant·es travaillant sur notre projet et de nos activités en vue d’une mise à jour majeure de notre détecteur, prévue pour être installée en 2025-2026.
LP : Quelle est la chose qui vous enthousiasme le plus dans votre travail au CERN ?
HW : C’est difficile d’identifier une unique chose : il y a la participation à l’avancement de la connaissance, la construction de nouveaux systèmes et détecteurs et aussi l’environnement international avec des scientifiques de 110 nationalités qui contribuent aux projets du CERN.
LP : Quelles sont selon vous les qualités requises pour rejoindre le CERN et pour y rester ?
HW : Il faut être très compétent·e dans son domaine d’expertise car il y a de nombreux candidat·es à chaque recrutement. Le CERN a une mission de formation, donc la majorité de nos postes sont à durée limitée. Avoir un passage au CERN sur son CV est un atout reconnu partout dans le monde. Pour les postes à long terme, nous regardons aussi la créativité, la capacité d’innovation, d’employabilité à différents postes et fonctions qui nous attendent au cours d’une carrière.
C’est dans l’immense bâtiment de la « North Area » que sont testés certains prototypes et améliorations des détecteurs. Certains d’entre eux datent d’au moins vingt ans tandis que d’autres sont issus des mises à jour les plus récentes. La North Area abrite également des expériences telles que COMPASS (étudiant les interactions entre gluons et quarks).
Le bâtiment 40 est le lieu dans lequel les physicien·nes et ingénieur·es (voire étudiant·es) de ATLAS et CMS travaillent et partagent leurs idées, souvent autour d’un café pris à la cafétéria.
LP : Depuis la découverte du boson de Higgs il y a 10 ans, sentez-vous une différence dans votre façon de travailler ou dans les projets proposés ? Le LHC est-il encore pertinent ?
HW : Pour moi, la grande différence est venue avec l’exploitation du LHC : avant, on travaillait dans la caverne à construire cette immense expérience à 100m sous terre. Après, le travail s’est déplacé vers l’exploitation des données délivrées par l’expérience ATLAS. La découverte du boson de Higgs a été une bonne récompense pour le travail accompli, mais il faut maintenant l’étudier en détail dans ses occurrences les plus rares. Aussi, le Modèle Standard n’explique pas tout et nous avons des indications que la nouvelle physique peut être à l’échelle de plusieurs TeV, avec des découvertes possibles après la mise à niveau du LHC (HL-LHC). Après le HL-LHC, nous proposons en Europe le FCC, un accélérateur d’électrons avec une circonférence de 100km. Je participe à la réflexion pour le design d’un calorimètre faisant partie d’une expérience de cette future machine.
LP : Quelle est actuellement la place de l’optique au CERN ? Est-elle importante ?
HW : L’optique est utilisée dans de nombreuses applications au CERN, de la prédiction des trajectoires des particules dans les accélérateurs (nous parlons de l’optique d’une ligne de faisceau), en passant par de nombreux détecteurs de particules, qui in fine mesurent des photons (détecteurs basés sur les phénomènes de scintillation ou d’émission Tcherenkov) ou par exemple la manipulation d’atomes d’antimatière à l’Anti-proton Decelerator.
Un peu de photonique sur ATLAS (basée sur mon stage de 2ème année)
L’expérience ATLAS possède en son centre un détecteur cylindrique, le TileCal, dont la fonction est de mesurer l’énergie de particules lourdes (les hadrons) par l’intermédiaire du flash lumineux produit lorsqu’une particule interagit avec l’une des tuiles en plastique qui le composent.
Pour calibrer ce détecteur, un dispositif utilisant un laser impulsionnel de longueur d’onde λ=532 nm est exploité. Sur le trajet du faisceau laser, des photodiodes sont utilisées pour vérifier entre autres sa stabilité. Le faisceau est ensuite envoyé vers les photodétecteurs du TileCal grâce à un dispositif afocal répartissant la lumière entre les 400 fibres menant vers ces photodétecteurs.
LP : Comme de nombreux élèves-ingénieur·es, les étudiant·es supopticien·nes sont très vigilant·es quant à l’engagement pour le climat de leur future entreprise. Pensez-vous que travailler au CERN soit toujours aussi attractif pour notre génération ? Que propose le CERN pour faire progresser la lutte contre le réchauffement climatique ?
HW : Nous avons au CERN l’expérience CLOUD qui à l’origine étudiait le rôle des rayons cosmiques dans la formation de nouveaux aérosols, de petites molécules autour desquelles la vapeur d’eau se condense. Le programme de cette expérience s’est élargi à l’étude de nombreux aérosols ou de molécules issues de l’activité humaines, et leur rôle dans la formation des nuages. Leurs résultats contribuent à améliorer les modèles de prévision climatique car la quantité de nuages déterminent l’albedo et la quantité d’énergie solaire reçue par la Terre.
LP : Enfin, avez-vous une anecdote ou une information peu connue sur le CERN que vous voudriez partager avec nos lecteurs ?
HW : Les écrans tactiles ont aussi été inventés au CERN, pour la salle de contrôle du Super-Proton-Synchrotron en 1973, l’année de ma naissance.