L’ingénierie dans le secteur biomédical
par Hajar Elazri (promo 2023) et Samuel Fidahoussen (promo 2024) | Le Paraxial n°3 – 9 mai 2022
L’ingénierie optique est un domaine innovant, à l’origine d’idées qui mènent à tout, de l’éclairage aux semi-conducteurs, du laser aux lidars, de l’automobile à l’aérospatial… Il n’est donc pas surprenant que l’optique soit grandement présente dans le domaine du biophotonique.
Cet article constituera une introduction au secteur biophotonique. Nous allons d’abord parler de l’ingénierie biomédicale, puis nous aborderons le rôle de l’optique dans la biophotonique, et mentionnerons enfin deux exemples de start-ups dans ce domaine.
Qu’est-ce que l’ingénierie biomédicale ?
L’ingénierie biomédicale est l’application de principes et techniques de l’ingénierie à la biologie et à la médecine. Cela comprend tout le domaine des soins de santé : du diagnostic et de l’analyse au traitement et à la guérison. L’ingénierie biomédicale a pénétré la conscience publique par la prolifération des dispositifs médicaux implantables, tels que les stimulateurs cardiaques et les hanches artificielles, et par des technologies plus futuristes telles que l’ingénierie des cellules souches et l’impression en 3D d’organes biologiques.
L’ingénierie biomédicale diffère des autres disciplines de l’ingénierie dans le sens où les ingénieurs biomédicaux utilisent et appliquent leur connaissance intime des préceptes biologiques modernes dans leur processus de conception technique. Des aspects du génie mécanique, du génie électrique, du génie optique, de la science des matériaux, de la chimie, des mathématiques, et de l’informatique sont tous intégrés à la biologie afin d’améliorer la santé humaine, qu’il s’agisse d’une prothèse avancée ou d’une percée dans l’identification des protéines à l’intérieur des cellules.
Quelles sont les sous-disciplines de l’ingénierie biomédicale ?
L’ingénierie biomédicale comprend de nombreuses sous-disciplines, notamment la conception et le développement de dispositifs médicaux, les implants orthopédiques, l’imagerie médicale, le traitement des signaux biomédicaux, l’ingénierie des tissus et des cellules souches, l’ingénierie des biomatériaux, et l’ingénierie clinique.
À quoi ressemble la journée d’un·e ingénieur·e dans le secteur biomédical ?
Si elle ou il ne travaille pas dans la recherche ou dans l’industrie, dans lesquels il peut avoir des missions très différentes, l’ingénieur·e biomédical travaille le plus souvent dans un hôpital, où elle ou il cherche en permanence à améliorer la qualité des soins. Elle ou il connaît parfaitement les appareils de diagnostic, de traitement et d’assistance aux techniques les plus avancées. Du scanner au scalpel en passant par l’IRM (imagerie par résonance magnétique), les prothèses, les stimulateurs cardiaques…, tous les matériels sont sous sa responsabilité.
Entouré·e d’une équipe de technicien·ne·s, elle ou il conçoit, veille au bon fonctionnement et à la maintenance des équipements, programme les achats futurs de matériels, aide la direction de l’hôpital à faire des choix technologiques. Elle ou il organise aussi des séances de formation pour s’assurer que le personnel médical et soignant manipule correctement les appareils. Elle ou il connaît parfaitement les règles à suivre pour ne pas mettre les patient·e·s en danger. Son champ d’action s’étend également aux choix budgétaires de l’établissement : son avis compte pour arbitrer les demandes émanant des différents services.
Pourquoi l’optique dans la biophotonique ?
À la différence de l’époque actuelle, les médecins de jadis ne disposaient pas d’instruments et de systèmes de diagnostic sophistiqués, tels que les rayons X, les échographes ou les scanners. Les auscultations visuelles et manuelles étaient les outils de l’époque. Ainsi, depuis les débuts de la médecine, l’optique a été une technologie utile et puissante pour aider les médecins et tous les autres praticiens de la santé à examiner et à diagnostiquer leurs patients. En effet, l’un des aspects fondamentaux de la médecine est l’observation et l’examen physique de la condition générale du patient. Par conséquent, tout ce qui peut aider à mieux « voir » l’état d’un·e patient·e sera utile. À ce titre, l’optique, en tant que science qui étudie le comportement et la manipulation de la lumière et des images, est un outil idéal pour aider les médecins à obtenir de meilleures capacités d’examen visuel en fournissant un meilleur éclairage, un grossissement, un accès aux petites cavités ou aux cavités internes du corps, entre autres. Mais c’est en réalité la lumière et son interaction avec les tissus vivants qui est au centre de ce qui rend l’optique en médecine possible. La lumière possède de l’énergie et est capable d’interagir avec les cellules, les tissus et les organes biologiques. Cette interaction peut être utilisée pour sonder l’état de ces matières vivantes à des fins de diagnostic et d’analyse ou pour induire des changements dans ces mêmes systèmes vivants et les exploiter à des fins thérapeutiques. La science de la génération, de la manipulation, de la transmission et de la mesure de la lumière est connue sous le nom de photonique. L’application des technologies et des principes de la photonique à la médecine et aux sciences de la vie est connue sous le nom de biophotonique.
Un exemple de l’importance de l’optique en médecine : la fibre optique
Historiquement, la lumière ambiante était la principale source d’éclairage, ce qui empêchait de réaliser des examens en fin de journée ou à certaines heures de l’hiver. Dans l’Antiquité, les bougies à huile ont cédé la place aux lampes à cire et à alcool du XVe au XIXe siècle, jusqu’au développement de l’électricité et à l’introduction de la lampe électrique par Edison. Puis, dans les années 1960, avec le développement des lasers à semi-conducteurs, des diodes électroluminescentes (LED) et des lasers, l’optique médicale moderne a commencé à prendre forme et, associée à la disponibilité des fibres optiques, une nouvelle génération d’instruments et de techniques médicales a commencé à être développée.
Les fibres optiques ont été utilisées dans l’industrie médicale avant même leur adoption et leur explosion ultérieure en tant que technologie de choix pour les communications de données à longue distance. Les avantages des fibres optiques ont été reconnus par la communauté médicale il y a longtemps. Les fibres optiques sont fines, flexibles, diélectriques, immunisées contre les interférences électromagnétiques, chimiquement inertes, non toxiques et, bien sûr, de petite taille. Elles peuvent également être stérilisées à l’aide des techniques médicales standard de stérilisation. Leur principal avantage réside dans le fait qu’ils sont fins et flexibles et qu’ils peuvent donc être introduits dans le corps à la fois pour détecter, imager et traiter à distance. Leur première application biologique/biomédicale, qui reste la plus réussie, a été le domaine de l’imagerie endoscopique. Avant le développement de ces dispositifs, la seule méthode d’inspection de l’intérieur du corps était la chirurgie invasive. De nombreux·ses patient·e·s doivent aujourd’hui leur vie à l’existence des endoscopes à fibres optiques. Les fibres optiques ne sont pas seulement utiles pour les endoscopes, mais peuvent aussi être utilisées pour transmettre la lumière aux régions tissulaires d’intérêt, soit pour éclairer le tissu afin de pouvoir l’inspecter, soit, si l’on utilise une lumière laser de puissance beaucoup plus élevée, pour le couper ou l’ablater directement. C’est pourquoi elles sont largement utilisées comme sondes d’émission de laser, ainsi que comme conduits d’imagerie dans la tomographie par cohérence optique (OCT).
Peut-on travailler dans la biophotonique en sortant de SupOptique ?
Certes, en sortant de Supoptique, on n’est pas médecin. Néanmoins, on peut travailler avec des médecins, et pour pouvoir collaborer avec eux, avoir le même vocabulaire, mais aussi bien comprendre les applications du dispositif qu’on développe, il serait bénéfique d’avoir une formation complémentaire en biologie. Justement, il existe à SupOptique des parcours permettant de donner une coloration biophotonique à notre formation, comme l’IFSBM (Institut Supérieur de Formation Biomédicale) ou l’option Biophotonique en troisième année.
Cela dit, on peut bien entendu travailler sur des produits destinés à la biophotonique, sans pour autant avoir des connaissances en médecine ou en biologie. On s’intéresse alors à développer la technique sans se soucier de son application, ce sont des ingénieur·e·s opticien·ne·s qui travaillent sur des problèmes d’optique comme la résolution d’un dispositif d’imagerie, ou des informaticien·ne·s qui travaillent sur le traitement des données, etc.
L’entrepreneuriat peut également être une passerelle vers ce secteur. En effet, plusieurs supopticien·ne·s ont choisi de monter leur projet entrepreneurial autour de la biophotonique, que ce soit en se basant directement sur la technique issue du laboratoire de l’école comme DAMAE Medical, ou en s’éloignant un peu des enseignements d’optique pour s’affirmer dans un autre aspect de l’ingénierie comme Rhisa.
DAMAE Medical est une entreprise issue de la filière FIE, créée en 2014 pour commercialiser une technique d’imagerie de la peau, issue du laboratoire de recherche de l’école. Elle a été mise sur le marché en 2020, et compte à ce jour 25 personnes travaillant en étroite collaboration avec le labo, dont deux ingénieur·e·s qui travaillent directement avec des médecins, et d’autres qui travaillent purement sur les aspects techniques.
David Siret (Promo 2014) Anaïs Barut (Promo 2014) Arnaud Dubois (Promo 1994) CTO CEO CSO
DAMAE Medical développe le dispositif médical deepLive™, un nouveau système d’imagerie optique pour application en dermatologie. deepLive™ favorise une prise en charge efficace, rassurante et non-invasive du ou de la patient·e.
Interview de Pierre Campredon (Rhisa)
Rhisa est une start-up récente qui travaille sur le traitement des données d’imagerie médicale pour les rendre accessibles aux industriels et aux centres de recherche. Nous avons eu l’occasion d’interviewer son CEO, Pierre Campredon (promo 2013), qui a partagé avec nous ses expériences très enrichissantes.
Le Paraxial : Bonjour Pierre, merci d’avoir accepté de participer à cette interview. Pourrais-tu nous parler de ton parcours ?
Pierre Campredon : Bonjour le Paraxial, avec joie ! J’ai fait la filière FIE, et c’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles j’ai rejoint SupOptique. Je me suis rendu compte qu’on apprenait plein de choses sur l’entrepreneuriat, mais qu’il me manquait en sortie d’école un peu d’approfondissement de culture financière et de gestion d’entreprise. Du coup, je suis parti faire 3 ans chez EY, et entre temps, j’ai monté une petite boîte avec d’autres SupOps : mais c’était plus pour garder la main de l’entrepreneuriat que pour s’y consacrer à plein temps. Ensuite, je suis parti faire de l’audit interne chez Bel, un groupe français qui produit des fromages comme la vache qi rit ou kiri. Au bout d’un moment, l’entrepreneuriat m’a manqué, et je suis retourné dedans. Et c’est là que je me suis vraiment orienté vers l’innovation pour la santé. J’ai monté un premier projet qui s’appelait AlohaCare, avec un pharmacien et un ingénieur. C’était une plateforme de sécurisation et de partage de données de santé, elle a tenu un an, et après on a arrêté. Après, j’ai monté avec un professeur en chirurgie une entreprise qui s’appelle aujourd’hui Moon Surgical et qui conçoit des robots de co-manipulation chirurgicale.
LP : C’est vraiment intéressant ! Qu’est-ce que ce robot est capable de faire ?
PC : Beaucoup de choses assez incroyables mais en quelques mots, ce robot est utilisé pour faciliter les chirurgies abdominales mini-invasives. Pour te dire, il est en cours de développement : il fait partie de la grande famille des dispositifs médicaux, que tu ne peux pas concevoir et vendre du jour au lendemain : il faut faire des essais pré-cliniques, sans les utiliser sur des humains, pour s’assurer qu’il n’y ait aucun risque pour le patient puis des essais cliniques, en faisant de vraies chirurgies, pour confirmer la valeur ajoutée médicale du robot. Les résultats de ces essais alimentent entre autres les demandes d’autorisations de mise sur le marché, ce qu’on appelle un “Marquage CE” en Europe ou une “FDA Clearance” aux États-Unis. Tout ça prend du temps, en général des années avant de pouvoir commercialiser le produit.
LP : J’imagine que, pendant ces phases de test, il n’y a pas de revenus, comment vous faites pour rémunérer les salariés ?
PC : Effectivement, généralement il n’y a pas de revenus commerciaux du tout ! Dans le biomédical, souvent, on a besoin de mettre beaucoup d’argent au début, à l’aide de levées de fonds, de financements de l’état ou de programmes européens dédiés pour pouvoir payer les employés pendant plusieurs années, jusqu’au moment où la vente du dispositif médical générera du revenu. Cependant, si on se concentre juste sur l’aspect financier, dès que ça commence à générer du revenu, cela peut rapporter beaucoup. C’est le pari des startups dans ce domaine et c’est un investissement à long terme.
Au dernier tour de levée de fonds, nous avons pu recruter toute une équipe opérationnelle de gens qui ont des décennies d’expérience en robotique chirurgicale, principalement des Américains. Ils travaillent extrêmement bien, donc on leur a laissé les rênes de l’entreprise, et à partir de ce moment-là, celle-ci a véritablement changé d’envergure.
Et de mon côté, vu que j’ai eu plus de temps libre, qu’il y a beaucoup à faire dans ce domaine biomédical et que je trouve l’expérience de l’entrepreneuriat vraiment extraordinaire (notamment en comparaison de mes autres expériences professionnelles), je suis allé recréer une autre boite qui s’appelle Rhisa. On travaille sur les bases de données des hôpitaux, pour les rendre plus accessibles pour les gens qui font de l’innovation médicale. Par exemple pour les entreprises qui travaillent sur des algorithmes d’intelligence artificielle sur la reconnaissance de cancers, ils ont besoins de données qui soient qualifiées, proviennent de plusieurs centres et qui sont anonymisées afin de pouvoir les traiter.
LP : C’est super comme idée ! Vous avez des concurrents ?
PC : Merci. En effet, le constat général est qu’il y a beaucoup de données, mais tant que ces données ne sont pas classées, anonymisées, triées, etc, bref elles ne sont pas facilement accessibles et donc ne sont pas en l’état facilement réutilisables. Donc parfois c’est l’industriel lui-même qui se charge de faire ce traitement, parfois il passe à travers des entreprises dédiées qi font ça plus ou moins manuellement… Nous avons des concurrents, principalement aux États-Unis, mais c’est très difficile pour eux de nouer des partenariats avec des hôpitaux européens sur les sujets des données.
LP : Comment vous faites, d’un point de vue technique, pour traiter ces données ? Est-ce que vous utilisez des méthodes de traitement d’image enseignée à SupOptique ?
PC : On développe des algorithmes d’analyse de langage courant “NLP”. Cela consiste en comprendre automatiquement le sens de chaque mot, en fonction de sa position dans la phrase, du contexte et d’autres paramètres. Je prends un exemple très simple, dans le cadre de dépistage de cancer : les deux expressions suivantes : “absence de lésions suspectes” et “multiples lésions suspectes”, contiennent “lésions suspectes”, mais elles ne veulent pas dire la même chose, la première signifie son absence. Cet exemple est très simple pour un humain mais la langue française contient beaucoup de subtilités bien plus complexes qui rendent son interprétation automatique et de manière très fiable, un sujet vraiment pas évident et ce que nous développons !
On ne fait pas encore de traitement d’image, mais ça va arriver prochainement. En fait, nous, pour l’instant, on prépare les données pour faire du traitement d’image, et ce sont nos clients qui font ce traitement mais ils nous demandent régulièrement si l’on peut faire les premières étapes de ce traitement pour eux.
LP : Quel est le profil de vos clients ?
PC : Ce sont des industriels de la santé qui développent des dispositifs médicaux ou des médicaments partout dans le monde.
LP : Est-ce qu’il y a des pays dans lesquels le secteur du biomédical est plus épanoui ?
PC : En France on est plutôt bons (d’ailleurs de multiples SupOps y travaillent), les États-Unis bien sûr, le Japon, la Corée du Sud, l’Allemagne, l’Angleterre, et d’autres.
LP : Merci pour ce témoignage Pierre. J’ai une dernière question, tu es aujourd’hui CEO d’une entreprise, est-ce que tu penses que ta formation d’ingénieur et ton expérience en audit t’ont été bénéfiques ?
PC : Ce que j’ai appris en tant qu’ingénieur m’aide beaucoup à structurer ma pensée et à comprendre mieux ce que font mes équipes techniques, comprendre leur langage, mieux anticiper leurs besoins et saisir les tenants et aboutissants des sujets techniques majeurs de l’entreprise et des solutions pour y remédier… Concernant EY, ça m’a donné de solides bases en finance, en plus ça m’a permis de beaucoup voyager et j’apprécie ça ! ■