L’émancipation de soi doit-elle se faire à l’écart des autres ou en son sein ? Dans un monde où chacun se définit et se veut à l’écart des autres.

L’émancipation de soi est un phénomène qui se traduit par une affirmation de soi ou bien par le fait que l’on s’affranchisse des limites qu’on se pose, ou de celles que la société nous impose.

L’avis d’Ivan Cassabois (étudiant en 2AS à l’IOGS)

S’affirmer et s’affranchir, c’est aussi savoir se réinventer. C’est donc par essence un acte qui ne peut prendre source que dans sa propre réflexion, sa propre introspection. Cette réflexion mène de façon inhérente l’individu à se remettre en question, à chercher la vérité, ainsi qu’à intervenir afin de s’épanouir et de se libérer des entraves qu’il se pose à lui-même. C’est donc par définition un acte qui ne peut se faire que par la volonté propre d’une personne. Néanmoins, l’environnement dans lequel nous vivons est un monde où nous sommes confrontés à d’autres individus. Ces interactions nous obligent donc à mûrir notre propre perception de la réalité. Pouvons-nous ainsi dire que nous sommes constamment en train d’évoluer ? Cette évolution mène-t-elle donc à une forme d’émancipation ? Et quelle forme prend-elle ?

C’est donc par essence un acte qui ne peut prendre source que dans sa propre réflexion, sa propre introspection.

La société dans laquelle nous vivons impose, depuis que nous sommes petits, des normes que nous suivons sans même les questionner. Nous sommes mis dans des cases, chacune étant associé à une idée, un genre, une idéologie. De ce fait, nous grandissons dans un monde où ce qui est attendu de chacun se ressemble. Vient le jour où nous lisons un livre, écoutons une musique, regardons un film, vivons un moment précieux. Dès lors, notre perception en devient changée, et nous nous questionnons sur diverses choses qui nous paraissent importantes. Nous souhaitons donc vivre de façon différente dès ce moment passé. Ces moments où quelque chose nous frappe sont en général souvent salvateurs dans nos vies. Ils nous poussent inexorablement à rejeter une partie de notre ancien « nous ».  En repoussant cette ancienne partie de nous, ne sommes-nous donc pas en train de refouler une immaturité de notre part ? Dans la société dans laquelle nous vivons, nos expériences passées sont souvent associées à des mauvaises parts de nous, ou bien des choses dans lesquelles nous ne reconnaissons plus : ces expériences ne devraient-elles donc pas nous faire évoluer par rapport à notre façon de voir les choses et essayer de partager, de réfléchir à quel était le sens de cela ? Nos réflexions ne devraient-elles pas nous rapprocher des autres afin d’en débattre plutôt que de s’isoler ?  

Dans ce monde qui nous enferme et qui nous assomme de stéréotypes, nous nous remettons constamment en question vis-à-vis des idéaux mis en place par la société. Ces derniers vont bien souvent à l’encontre de cette émancipation évoquée précédemment. L’émancipation de soi dans un tel monde est un phénomène dur et périlleux car nos aspirations sont sans cesse remises en cause par les autres. Nous sommes parfois poussés à se « diminuer » et à vivre notre vie de façon « endormie ». Notre réveil dépendrait entièrement de notre environnement et de la pensée de nos proches. Nous sommes bien souvent la proie de notre cadre de vie, à travers les réseaux sociaux et le carcan établi par la société dans laquelle nous évoluons : nous ne pouvons pas de façon spontanée se « réveiller ». Il est nécessaire qu’un évènement arrive pour que nous sortions de notre torpeur, de notre quotidien dans lequel nous sommes enfermés, de cette bulle qui nous paraît si confortable. Cet électrochoc peut arriver à la suite d’un événement, pouvant être aléatoire et impromptu. Mais il peut tout aussi bien arriver à la suite d’une réflexion et d’une introspection que nous pouvons mener au cours de notre vie : ce genre d’existence est bien souvent vertueuse mais nécessite une assiduité ainsi qu’une rigueur de pensée. Comment pourrait-on évoluer si l’on considérait qu’au bout d’un certain temps, nous sommes tout à coup éveillés ? 

La question suivante apparaît donc : l’émancipation est-elle une éternelle évolution ? Ou bien existe-t-il un stade dit comme « éveillé » ?

L’avis de Carla Vialy (étudiante en 1A à l’IOGS)

L’émancipation de soi, est-ce se singulariser, se différencier des autres, ou est-ce s’unir, s’adapter et vivre en harmonie avec les autres ?

S’émanciper à l’écart des autres, c’est faire en sorte d’écouter ce qui vibre au plus profond de nous sans se laisser influencer par l’avis extérieur, le dogme, la norme. C’est tracer sa propre route, pour aller directement vers le vrai, le pur, l’essentiel. C’est une quête de liberté : en s’émancipant à l’écart des autres, on brise les chaînes qui nous restreignent à être vraiment nous, on se libère du poids du jugement d’autrui pour s’élever à un degré d’existence supérieur, à une existence en pleine conscience de ce que nous désirons et ne désirons pas. Le regard des autres, qui jusqu’à présent était comme de la buée sur une vitre, s’efface et nous laisse y voir plus clair.

Mais une telle émancipation est-elle vraiment souhaitable ? Est-ce vraiment comme ça que l’on devient libre, que l’on devient soi-même ? Cela ne consiste-t-il pas simplement à s’isoler en marge du monde, en reclus de la société, en vieil ours des cavernes ? Car même si une vie d’ascète peut clairement être un enrichissement (la sobriété a selon moi toujours quelque chose de bon), c’est aussi passer à côté de beaucoup d’opportunités que de mettre les autres à l’écart, et du même coup, de se mettre à l’écart soi-même.

Prendre en compte l’avis des autres, ce n’est pas créer une dépendance et donc aller contre l’émancipation de soi. C’est plutôt accepter un autre type de nourriture de l’esprit, en plus de notre capacité à grandir de nous-même (en lisant, en jouant de la musique, en dessinant, en faisant du sport…), car le regard extérieur n’est jamais prévisible et est toujours enrichissant. Certes, parfois le jugement de l’autre est blessant et castrateur. Il nous bride et nous fait reculer devant nos projets, nos envies. Mais souvent, à condition d’être bien entouré, il est construit et instructif, si on sait en tirer ce qui nous est utile, sans se fermer ou se vexer. Il s’agit en fait de suivre l’idéologie de Nietzsche : plutôt que de fuir tout risque de souffrance en s’éloignant des autres, ce qui impliquerait aussi de se priver de la fierté que l’on peut ressentir lorsque les autres valident nos actes (bien que ce sentiment ne soit pas nécessaire et qu’il ne faille pas à tout prix le rechercher, il est toujours agréable et sain), ce serait en fait plus intéressant de faire face courageusement et sans fierté mal placée à ce risque d’être vexé par le jugement des autres. C’est en y faisant face, en tenant les autres proches que l’on s’émancipe et que l’on s’affirme vraiment : on n’a alors pas peur de montrer qui l’on est, ce que l’on veut et où l’on va. On est assez grand pour prendre le regard des autres en considération, sans être détruit par tel mot, ou trop validé par d’autres. Savoir contrôler l’impact que les autres ont sur nous, c’est une grande part, pour moi, du travail d’émancipation. 

C’est en y faisant face, en tenant les autres proches que l’on s’émancipe et que l’on s’affirme vraiment.

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