Pourquoi voulons-nous retourner sur la Lune ?

Pourquoi voulons-nous retourner sur la Lune ?

21 Juillet 1969 – les américains marquent l’histoire en posant pour la première fois le pied sur la lune. S’il ne se passe rien pendant plus de 50 ans, les Américains et les Chinois développent désormais de nouveaux programmes spatiaux pour retourner sur la lune. Mais dans quel but ? 

Objectifs scientifiques 

Si l’Homme retourne sur la lune, il extraira cette fois-ci des échantillons. Le site de la NASA notamment explique dans quel but : de les exploiter mais aussi d’en apprendre plus sur la formation de la lune et le fonctionnement de la Terre, du soleil et du système solaire. Construire des bases sur la Lune servirait de relai pour des satellites mais aussi à long terme pour une future mission sur Mars. Plus encore, développer ces missions, dites Artemis, serait bon pour l’économie puisque cela générerait plein de nouveaux emplois et permettrait d’inspirer les générations futures. 

Dans un discours de 2019, Mike Pence, vice-président de Donald Trump, parlait pour la première fois de retourner sur la Lune (et aussi d’envoyer la première femme et la première personne de couleur). L’objectif annoncé pour 2024 semble un peu compromis, mais le but était surtout de rappeler l’ambition des États-Unis dans l’exploration spatiale et la «grandeur» du pays. Mais alors, l’amour de la science ne serait donc pas le seul et unique motif derrière ce retour sur notre satellite ?  

Les missions Artemis – développées par les américains pour retourner sur la Lune
’objectif serait, à terme, de construire une base sur la lune – Image extraite de la vidéo «Why the Moon ?» où la NASA explique l’intérêt de retourner sur la Lune

Retour en arrière

Yuri Gagarin, 1er homme (russe) dans l’espace en 1961

Pour mieux comprendre pourquoi l’exploration spatiale est si chère à l’Amérique, il faut se replonger dans la guerre froide. 

La rivalité États-Unis – Russie passait notamment par le Soft Power. L’influence qu’un pays peut exercer ne passe pas seulement par le militaire ou l’économie : les États-Unis se devaient d’arriver sur la Lune avant les Russes. 

Pourtant dans les années 60, les États-Unis étaient inquiets, et pour cause : le premier homme à être allé dans l’espace était russe : Yuri Gagarine, en 1961. Peu de temps après, Kennedy faisait un discours assez semblable à celui de Mike Pence : l’Amérique est le plus grand de tous les pays et c’est pour cette raison qu’ils arriveront sur la Lune les premiers. L’Histoire semble se répéter. 

Leurs discours ont quasiment 60 ans d’écart, mais leurs objectifs sont loins d’être éloignés (Le discours de Mike Pence peut être visionnée sur la vidéo YouTube de la Nasa «NASA Aims to Land Astronauts Back on Moon in 5 Years»)

Les États-Unis ont donc gagné. Ils ont conquis la lune et ont prouvé qu’ils étaient les plus forts. Mais alors pourquoi vouloir retourner sur une terre déjà conquise 50 ans après ? Qui d’autre que la Russie pourrait bien vouloir les détrôner ?  

La peinture de gauche, que vous avez probablement déjà vu lors de vos cours d’anglais, a été peinte en 1872 par John Gast et s’intitule «American Progress» et est directement issue d’une doctrine appelée «Destinée Manifeste» (Manifest Destiny en Anglais). Lors de la conquête de l’Ouest Américain, ceux-ci avaient pour «mission divine» de civiliser les pays de l’Ouest en étendant leurs frontières et en posant le pied en premier sur ces terres. Un siècle après, en étendant une nouvelle forme de frontières, les Américains «prouvent» que dans cette guerre froide, c’est le libéralisme américain qui «l’emporte» sur le communisme russe.

La Chine, nouvel acteur dans la course spatiale  

Personne n’aurait cru au temps de la Guerre Froide que la Chine puisse devenir une menace aussi sérieuse dans le domaine spatial (et pas que d’ailleurs).

Le 1er satellite de la Chine (Dong Fang Hong 1) n’est envoyé dans l’espace qu’en 1970, après le contexte tendu liés aux politiques de Mao Zedong. Ce n’est que le 5ème pays au monde à y parvenir. Et jusqu’à la fin du XXème siècle, l’activité spatiale évolue peu puisque Deng Xiaoping essaye d’acheter des technologies aux autres pays qui refusent en raison du contexte de la Guerre Froide.                                                                                                            

Mais après l’effondrement de l’URSS, l’activité spatiale s’accélère et les Chinois envoient leur premier taïkonaute – terme désignant les astronautes Chinois comme les cosmonautes désignent les astronautes russes – en 2003. C’est le 3ème pays au monde à le faire. Ne pouvant entrer dans l’ISS car soupçonnés d’espionnage, ils lancent Tiangong I en 2011, assez petite à l’époque contrairement à Tiangong III en orbite aujourd’hui.                       

Depuis cette décennie, les Chinois sont particulièrement actifs entre extraction de ressources lunaires (sonde Chang’e 5) et envoi de leur premier rover (Zhurong) sur Mars. Leur objectif pour 2030 : envoyer le premier Chinois sur la Lune. 

En 2020, 8.9 milliards de $ avaient été dépensés. Un budget conséquent et plus élevé que la majorité des pays européens… mais pourtant très loin de celui des États-Unis à 48 milliards de $ ! Il est clair que les Chinois ont encore aujourd’hui un grand retard à rattraper. Pour autant, ils font tellement d’efforts que le Pentagone estimait l’an dernier que si les États-Unis ne réagissaient pas à cette nouvelle menace, le Chine pourrait devenir la première puissance spatiale en 2045, ce qui abîmerait gravement le soft power des États-Unis. 

A-t-on raison de s’inquiéter ? Qu’en pensent les spécialistes ? Ils sont divisés en 2 catégories. David Ignatius, auteur américain de romans d’espionnages et spécialiste de la géopolitique écrivait en 2021 que les Américains ne prenaient pas assez en compte la menace chinoise. Au contraire Kelly A. Grieco, spécialiste de la stratégie globale des États-Unis, considère que cette course spatiale est un mythe et que les Chinois sont loin d’être en passe d’égaler les Américains qui ont une avance et un budget considérables. Pour autant, tous·tes ont peur des conséquences qu’une telle rivalité puisse avoir, entre cyberattaques et militarisation de l’espace. Kelly A. Grieco dresse même un parallèle avec les années 50 lorsque les pays essayaient de rattraper leur retard sur le nucléaire.  

Si ces propos sont un peu alarmistes, quel sont réellement les risques ?  

(Futures ?) Lois & Régulations 

Quels sont les traités qui existent déjà aujourd’hui ? 

Le traité de l’espace signé en 1967 avait pour premier objectif, dans le contexte tendu de la guerre froide, de limiter la prolifération des armes puisqu’il interdit l’envoi en orbite de toute arme, en particulier nucléaire. De plus, il établit que l’espace, et donc la Lune, ne peut appartenir à aucun pays. Pour autant, si la Lune n’appartient à personne, qu’en est-il de ses ressources ? C’est pourquoi ce traité n’est plus vraiment d’actualité aujourd’hui. 

Comment les choses pourraient évoluer dans ce cas ? Jetons un coup d’œil aux lois de la mer qui existent aujourd’hui. Elles délimitent les territoires sous-marins et il faut répondre à des critères précis pour pouvoir explorer un territoire : l’environnement doit être respecté et une part suffisante doit être reversée aux pays en développement. Mais problème : les États-Unis n’ont pas signé ce traité et peuvent donc exploiter les ressources comme ils le souhaitent. Il est difficile d’imaginer comment ils pourraient signer un traité fondé sur les mêmes bases en ce qui concerne la Lune. 

Cette carte réalisée par Science Po en 2018 met en valeur en rouge les pays qui n’ont pas signé ni ratifié les lois de la mer (en ratifiant, le pays doit répondre aux obligations juridiques du pays, ce qui n’est pas toujours le cas en signant uniquement)
La fusée Artemis I
Credit: (NASA/Joel Kowsky)

Dans le cadre des missions spatiales qu’ils développent actuellement, les Américains ont écrit les accords d’Artemis que tout pays voulant travailler avec eux doit signer. Un point crée la controverse : ils protègent les objets américains sur la Lune issus entre autres des missions Apollo en créant des zones d’exclusion. En d’autres termes, cela revient de manière indirecte à priver la Chine de certaines parties de la Lune, ce qui est contraire au traité de l’espace (article II établissant qu’aucune région de l’espace n’appartient à personne). ■

Merci à Antoine Fouquet, Milan Fayat et Rémy Seurat (P25) avec qui j’ai pu beaucoup réfléchir sur le sujet et sans qui je n’aurai pas pu écrire l’article.  

Si jamais vous voulez aller plus loin, vous pouvez retrouver ci-dessous les avis de David Ignatius et Kelly A. Grieco sur la nouvelle course spatiale, et au passage pratiquer un peu votre anglais !  

The Washington Post > China is serious about winning the new space race (https://www.washingtonpost.com/opinions/2023/07/20/china-united-states-space-competition/) 

The Diplomat > The US-China space race is a myth (https://thediplomat.com/2022/01/the-china-us-space-race-is-a-myth/ 

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