Texte de Lola
par Lola Deygout (promo 2026) | Le Paraxial n°16 – 13 décembre 2023
Je ne connaissais personne autour de cette table ronde, et je me demandais bien qu’est-ce que j’étais venu faire ici. « Découvrir du nouveau », je m’étais dit, « discuter avec des gens », et puis, « peut-être rencontrer quelqu’un ? ». Cela faisait un moment que j’empilais les relations foireuses, qui n’aboutissaient jamais, qui s’engouffraient dans une boue de non-dits et d’ambiguïté, qui collaient à la peau comme du sirop séché. Et puis cela se produisait toujours dans mon cercle, ils étaient les « copains d’enfance », les « meilleurs amis » ou les « anciens collègues », et puisque ça se finissait toujours mal, me voici que j’étais tout autant dépourvu d’amour que d’amitiés. Donc table ronde, entourée d’inconnu.es. Mon entreprise avait proposé une formation pendant une semaine dans un centre du Sud de la France et j’avais répondu à l’appel.
Je n’irais jamais jusqu’à me penser beau, en effet, je me suis toujours considéré moyen. 1m70. IMC moyen. Visage lambda. Cheveux bruns. Yeux marrons. Du classique. Ici, cependant, on aurait pu croire que j’étais la réincarnation de Marilyn Monroe en mec, ou le fils inédit d’Aphrodite avec Brad Pitt. J’avais l’impression d’être le seul qui faisait un minimum attention à son apparence, et le seul qui était venu dans cette ville balnéaire pour autre chose qu’un complément sur son CV.
Après chaque débat, on tournait, et il y avait tellement de monde qu’à chaque séance je rencontrais des nouvelles personnes. Ce fût pendant la séance langue étrangère que j’ai rencontré Nazim. Il excellait en anglais, visiblement il avait vécu en Amérique du Nord. Du groupe, on était les deux à être « fluent », et en réalité, ce qui devait être un débat groupé s’est converti en une discussion tête-à-tête. J’avais toute de suite été charmé par son charisme. Ses commentaires intelligents, ses reparties fines et tranchantes, ses petits pics sarcastiques aux personnes qui nous entendaient mais nous ne comprenaient pas. Et puis son petit sourire au coin des lèvres, sa voix rauque et profonde, ses boucles encadrant son visage. En une heure de discussion il avait réussi à me faire sentir qu’on était seuls dans la salle, que la conversation la plus importante de la planète se tenait entre nous, à l’instant. Il était ingénieur, comme moi, mais il avait une richesse dans sa manière de se tenir, de parler, de retorquer, que je n’avais jamais vu dans mes collègues. A la fin de la séance, j’étais enfin à l’aise dans ma peau, et je désirais de rester près de lui.
A l’heure du déjeuner, on s’est assis ensemble, que nous deux. Enfin une discussion pas creuse, plus jamais les commentaires sur la météo clémente du bord de mer en hiver. J’ai compris qu’il travaillait à Lyon, mais qu’il s’était installé il y a à peine un an en France, qu’il avait fait ses études à McGill, mais qu’il avait grandi à Oran. J’avais tellement de questions à lui poser, je voulais tout savoir sur lui. Plus je l’assenais de questions, plus ses lèvres se courbaient, ses fossettes apparaissant de part et d’autre de son sourire, plus ses yeux noirs brillants se plissaient gentiment. Et puis ses manières si intelligentes, si pertinentes de répondre à mes questions, et puis de retourner la conversation et demander que je lui raconte plus de moi. Je lui parlais de ma recherche et il écoutait passionnément, je lui expliquais mon cursus et il ordonnait plus de précisions, qu’est-ce que ce système de grandes écoles, qu’est-ce que j’avais parcouru. Notre déjeuner copieux avait à peine été commencé que les formations de l’après-midi commençaient, mais il nous fallut un seul regard complice pour nous accorder sur le fait qu’on s’absenterait.
On a décidé de profiter du soleil d’hiver et du chemin côtier qui s’offraient à nous. Notre discussion, ininterrompue depuis la séance d’anglais, commençait à devenir de plus en plus personnelle. De nos parcours on est arrivés à nos goûts, de nos goûts à nos passions, de nos passions à nos désirs. Il me racontait en détail cette période où, sans le sou, il avait dû travailler pour un centre d’art à Montréal afin de pouvoir finir ses mois. Ses journées s’étalaient de 6h du matin jusqu’à 23h le soir, mais il disait n’avoir jamais été aussi heureux de sa vie. Crevé, mais heureux. Comment ? J’assistais gratuitement à une pièce de théâtre toutes les semaines, il me disait, et j’avais la chance de rencontrer tous les artistes derrière les coulisses au concert. Y en a c’est des sacrés connards ! S’exclamait-il. Et comment ça ? Je buvais ses paroles comme la plus belle mélodie que j’aie entendu depuis des siècles.
Je me sentais bête d’être aussi obnubilé par lui, mais il avait cette profondeur dans son regard, dans son discours, dans sa voix. Je me sentais presque frémir. Ridicule, j’avais l’impression d’avoir été téléporté au collège, quand j’admirais les terminales courir dans le stade. Malgré la consternation que provoquait cette attraction absolue, elle restait délicieuse. Je ne souhaitais qu’une chose : me rapprocher de plus en plus vers lui. Enfin, j’avais l’air de lui plaire aussi. Au fil du soleil couchant, ses paroles s’emplissaient de compliments, enfouis dans des tournures de phrases magnifiques. La nuit tombait mais
j’étais ébloui, je n’avais jamais été face à un homme comme lui, Nazim.