À la conquête des étoiles : Surmontez les aberrations optiques avec les télescopes innovants

Imaginez-vous, scrutant le ciel nocturne avec votre télescope. Seulement, en cette magnifique nuit d’août, vous vous rendez compte que les étoiles ressemblent plus à des éclaboussures de peinture qu’à des points lumineux élégants. Ne vous inquiétez pas, vous n’avez pas accidentellement téléporté votre télescope dans un tableau de Picasso !

Ce que vous observez, chers astronomes en herbe, ce sont les fascinantes aberrations optiques, ces phénomènes visuels mystérieux que même les télescopes les plus sophistiqués ne parviennent pas à éliminer complètement…

Mais soyez rassurés ! Ce mois-ci, nous allons voir comment des esprits ingénieux ont surmonté ces défis astronomiques, nous permettant ainsi d’admirer les merveilles de l’univers avec une netteté remarquable.

Les aberrations

En considérant l’optique paraxiale ou en envisageant un système optique parfait, l’image d’un point est censée correspondre à un point (stigmatisme). Cependant, cette idéalité n’est que rarement atteinte. En réalité, ce que l’on désigne sous le terme « aberrations » dans un système optique tend à transformer cette image ponctuelle en une tâche.

Ces aberrations représentent donc des imperfections intrinsèques au système optique qui, dans leur ensemble, ont tendance à réduire les performances du système. Il est évident qu’avoir une tache au lieu d’un point compromet la résolution du système de manière significative.

En résumé, ces « aberrations » se divisent en deux types :

  • Les aberrations géométriques : telles que l’aberration sphérique, la coma, l’astigmatisme, la courbure de champ, etc. Elles sont dues à des aspects géométriques du système optique tels que les rayons de courbure, les épaisseurs, les alignements, le positionnement des optiques, etc…
  • Les aberrations chromatiques : causées par les propriétés diélectriques du verre. Étant donné que l’indice optique dépend de la longueur d’onde, cela entraîne une dispersion des couleurs dans les matériaux et des images différentes selon la longueur d’onde.
Image d’un point source, une tâche
Aberration sphérique
Saturne, avec des bords bleu et rouge
Chromatisme transverse
Image d’un point source, une « comète »
Coma

Sans trop rentrer dans les détails, chaque aberration s’explique de façon mathématique et provoque une déformation de l’image qui lui est propre. Par exemple pour l’aberration sphérique, on obtient une tâche car la focalisation de tous les rayons ne se fait pas en un seul point :

En optique ondulatoire, les aberrations se manifestent comme une variation du front d’onde, plus précisément un « écart au front d’onde ». Vous n’êtes pas sans savoir qu’un objet ponctuel à l’infini renvoie une onde plane, donc en entrée de notre télescope, le front d’onde est plan. Les différentes optiques du système par leur géométrie vont modifier ce front d’onde (qui ne sera donc plus plan) et ne convergera donc pas en un seul point. C’est de cette manière que nous définissons et calculons les aberrations.

Il est crucial de noter que les aberrations peuvent être catégorisées en fonction de leur impact sur l’image. En effet, les aberrations ne suivent pas toutes la même progression (linéaire, quadratique, etc.).

Lors de la conception d’un système optique, l’accent est généralement mis d’abord sur la qualité de l’image sur l’axe (au centre), puis par la suite l’attention se tourne vers le champ (les bords), car quelle que soit l’aberration, son influence augmente progressivement en se déplaçant dans le champ. Dans le pire des cas, il est préférable de pouvoir observer au moins le centre de l’image.

Les télescopes

De nombreux télescopes ont été développés au cours des siècles, chacun apportant son lot d’innovations et d’améliorations tout en essayant de rendre accessible l’astronomie au plus nombreux. Pour rendre le propos cohérent, nous allons parler ici seulement des principaux types de télescopes qui sont utilisés de nos jours par les astronomes amateurs.

Afin de réduire les diverses aberrations, il est nécessaire d’exploiter les « degrés de liberté » du système, c’est-à-dire les variables que l’on peut modifier. Cela peut par exemple être les rayons de courbure, les épaisseurs de verre, le nombre de lentilles/miroirs, et ainsi de suite.

Nous allons discuter des télescopes réflecteurs, qui sont constitués de miroirs (et non de verre). Par conséquent, pour la plupart des télescopes que nous allons présenter, nous pouvons écarter les aberrations chromatiques. Dans la suite de cet article, le rayon rouge représente le rayon sur l’axe et le rayon vert représente le rayon dans le champ.

Dans ce genre de dispositif, pour une focale fixée, les paramètres que nous pouvons faire varier et nous allons le voir juste après, sont les rayons de courbure des miroirs et ce que l’on appelle le coefficient de conicité ou excentricité . Les matheux savent surement déjà de quoi je parle, mais pour une explication rapide, la surface d’un miroir n’est pas plane (car peut être concave ou convexe) mais suit plutôt une courbe conique d’une certaine excentricité . Un miroir de télescope peut être sphérique, parabolique, hyperbolique, etc…

On peut voir sur la figure ci-contre que les miroirs prendront la forme présente dans le rectangle jaune suivant leur excentricité.

Après des calculs minutieux, il est apparu que certaines formes de miroirs peuvent permettre d’éliminer certaines aberrations pour des configurations spécifiques. Cela a été une considération majeure lors du développement des télescopes.

Télescope de Newton

Conçu par Isaac Newton en 1666, ce télescope est constitué d’un miroir primaire  concave. Et d’un second miroir  plan qui renvoie la lumière vers le capteur ou l’oculaire pour l’observation. Reconnaissable par son plan focale image sur le côté supérieur du tube.

Le miroir  se limite à rediriger la lumière dans une direction spécifique et n’intervient pas dans la gestion des aberrations, contrairement au miroir  qui est responsable des aberrations du système.

Pour un télescope de type Newton, il est commun d’avoir un miroir  sphérique ou parabolique.

Dans le cas d’un miroir sphérique, toutes les aberrations sont présentes, avec l’aberration sphérique étant la plus problématique, limitant le diamètre utile du miroir. En effet, on peut utiliser ce type de miroir sans trop avoir de problème mais à condition d’avoir un rayon de courbure du miroir assez grand pour minimiser les effets de cette aberration de sorte que tous les rayons passent dans la tâche d’Airy (diffraction).

Le polissage d’un miroir sphérique étant moins complexe que celui d’un miroir parabolique ou hyperbolique, il est moins coûteux à produire. Ainsi, l’avantage de ce type de télescope réside dans son prix abordable, puisqu’il ne corrige pas trop les aberrations. Toutefois, il est possible d’opter pour un télescope Newtonien avec un miroir  permettant de supprimer complètement l’aberration sphérique, moyennant un coût légèrement plus élevé. Cette amélioration contribue à éliminer un défaut majeur dans la conception.

L’absence d’autres degrés de liberté signifie que les aberrations dans le champ continueront à limiter les performances du télescope, notamment en ce qui concerne la coma.

Télescope de Cassegrain

Inventé par Laurent Cassegrain en 1672, constitue une amélioration du télescope de Gregory (dont les détails seront omis ici). Il se caractérise par l’utilisation d’un miroir  parabolique et d’un miroir  hyperbolique.

Un des avantages par rapport au télescope de Newton est qu’il est beaucoup plus compact pour une focale équivalente. De plus, cette fois ci le plan focal image est situé à l’arrière du tube. Pour finir, il est courant d’avoir un tube déflecteur au niveau du miroir afin d’empêcher la lumière parasite d’atteindre directement le capteur sans passer par les miroirs.

La combinaison d’un miroir parabolique et d’un miroir hyperbolique dans le télescope Cassegrain offre tout d’abord l’avantage de minimiser l’aberration sphérique, similairement au télescope Newton. Cependant, cette configuration se traduit par un coût plus élevé en raison de la conception des deux miroirs non sphériques. De même que le Newton, les aberrations dans le champ restent problématiques (Coma, Astigmatisme, etc…).

Télescope Schmidt-Cassegrain

C’est une évolution du Cassegrain développé par Bernhard Schmidt en 1931. Cette conception intègre une composante appelée « lame de Schmidt » en verre, avant le miroir  telle que la lumière la traverse avant d’arriver sur le miroir .

Contrairement au télescope Cassegrain classique où le miroir  est initialement parabolique, dans le Schmidt-Cassegrain, ce miroir est sphérique, ce qui réduit considérablement les coûts de fabrication. Pour compenser les aberrations sphériques à la place, la lame de Schmidt est spécialement taillée pour minimiser ces aberrations lorsque la lumière passe à travers.

Un inconvénient de cette configuration est l’apparition de chromatisme, car l’ajout de la lame de Schmidt introduit la traversée de verre dans le système optique, créant ainsi des aberrations chromatiques. Malgré cela, le télescope Schmidt-Cassegrain reste l’un des télescopes les plus prisés parmi les astronomes amateurs en raison de son rapport qualité/prix attractif et de son faible encombrement.

Une variante supplémentaire, non présentée ici, est le télescope Maksoutov-Cassegrain, développé peu après en 1941, qui remplace la lame de Schmidt par un ménisque divergent (lentille) plus facile à fabriquer, réduisant ainsi encore plus les coûts tout en conservant un principe de fonctionnement similaire.

Télescope Ritchey-Chretien

C’est de même que le Schmidt-Cassegrain, une évolution du Cassegrain développé par George Ritchey et Henri Chretien en 1910. Il se distingue par l’utilisation de deux miroirs  et  hyperboliques.

L’avantage principal de ce type de télescope est sa capacité à minimiser à la fois l’aberration sphérique et la coma, offrant ainsi des images de bien meilleure qualité tant sur l’axe que dans le champ.

En possédant deux miroirs avec des courbures hyperboliques, le système dispose de deux degrés de liberté, permettant ainsi la minimisation de deux types d’aberrations.

Cependant, la fabrication de miroirs hyperboliques rend le processus très complexe, ce qui se traduit par un coût significativement plus élevé par rapport aux télescopes Cassegrain ce qui limite son adoption par les astronomes amateurs. Ce type télescope est donc limité par l’aberration suivante, l’astigmatisme.

Il est intéressant de noter que cette logique s’étend à la conception des télescopes dans leur ensemble : plus il y a de miroirs, plus il y a de degrés de liberté, ce qui permet de minimiser davantage d’aberrations (Astigmatisme, Courbure de champ) et d’obtenir des images de meilleure qualité. C’est pourquoi certains des plus grands centres spatiaux ont conçu des télescopes avec un nombre considérable de miroirs, comme l’ELT (Extremely Large Telescope), le plus grand télescope en construction au monde, avec cinq miroirs, dont le  a un diamètre impressionnant de 39 mètres, soit une surface de 978 mètres carrés.

Nous avons discuté ici seulement des aspects tournant autour des aberrations, mais il est également important de noter que lors de la conception d’un système optique, de nombreuses autres contraintes entrent en jeu, telles que les aspects photométriques, la compacité, etc., qui sont tout aussi importants que la gestion des aberrations. ■

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