Comment intégrer l’écologie dans sa carrière ?
par Hajar Elazri (promo 2023) | Le Paraxial n°5 – 4 octobre 2022
En signant le manifeste étudiant Pour un réveil écologique, plus de 30 000 étudiant·e·s affirment vouloir faire un pas de côté par rapport au parcours professionnel qui leur est tracé, en refusant de travailler sur des projets déconnectés de l’urgence écologique. Aujourd’hui, plus que jamais, il est primordial pour tout·e étudiant·e de chercher une carrière qui soit compatible avec ses engagements écologiques personnels. Cela ne veut pas forcément dire de boycotter toute entreprise dont la protection de l’environnement n’est pas l’objectif principal, mais de se poser les bonnes questions pour évaluer le degré d’engagement d’une organisation sur les enjeux environnementaux.
Si l’on considère une carrière en tant que salarié·e dans une structure (entreprise, laboratoire, cabinet de conseil…), il faut bien analyser l’impact environnemental de chaque secteur de cette structure : les émissions de gaz à effet de serre, l’utilisation de ressources non renouvelables, la production de déchets, l’impact sur la biodiversité… Ajoutons à ces points le degré de prise en compte des enjeux écologiques dans la gestion des ressources humaines et dans la stratégie financière de la structure. Ce type d’informations peut être publié sur internet, mais on peut également y accéder en discutant avec des employé·e·s. Cela peut aussi faire l’objet des questions à poser à la personne chargée de recrutement pendant un entretien d’embauche. L’idée est d’intégrer systématiquement les questions climatiques, et plus globalement l’impact sociétal et écologique dans le choix de nos carrières afin de donner du sens à notre travail en participant à la création d’un monde meilleur.
Toujours dans l’optique de la création d’impact, l’entrepreneuriat peut aussi constituer un levier de l’accélération des transformations écologiques. En effet, ces dernières années ont vu la naissance de nombreuses innovations qui participent de différentes manières à la lutte contre le dérèglement climatique. Parmi ces innovations, nous citons le Projet Celsius, qui a été créé par deux anciens de l’Institut d’Optique : Guillaume Pakula (promo 2015) et Clément Reynaud (promo 2016). Le Projet Celsius est un studio pédagogique spécialisé dans les enjeux du changement climatique : il a pour vocation de favoriser la prise de conscience climatique et environnementale.
Nous avons eu l’occasion de discuter l’un de ses co-fondateurs, Guillaume Pakula, qui nous a parlé de son parcours, de sa vision sur les enjeux écologiques, et de la naissance du Projet Celsius.
Le Paraxial : Peux-tu nous parler de ton parcours scolaire ?
Guillaume Pakula : J’ai fait un bac S vu que j’étais très attiré par les sciences, ensuite j’ai fait une prépa MPSI puis MP* avec une appétence plus spécifique pour la physique. En intégrant SupOptique, je suis retombé sous le charme de la physique, et je me voyais vraiment faire de la quantique, etc. C’est ce qui m’a poussé à faire le double diplôme avec l’ESPCI. J’ai eu l’opportunité de faire un stage de six mois avec un chercheur de l’X, qui m’a, par la suite, proposé de faire une thèse pour continuer sur le projet que nous avions initié. J’avais beaucoup aimé cette expérience de thèse même si je savais que je n’allais pas faire ça toute ma vie, en grande partie grâce à mon encadrant qui a été un allier très précieux dans cette démarche. À un an de ma soutenance de thèse, mon encadrant me pose la question : “Qu’est-ce que tu veux faire après ?”, cette question que je ne m’étais pas posée jusque-là, vu que toute ma vie a été guidée par le syndrome du bon élève qui prend l’option qui lui ouvre le plus de portes sans avoir de vision claire d’où est-ce qu’il veut aller. J’ai eu l’opportunité de prolonger mon contrat de thèse quelques mois pour terminer mon projet de recherche, mais aussi pour me laisser le temps de réfléchir à ma reconversion professionnelle. Entre temps, j’ai passé des entretiens pour un cabinet de conseil, ce qui a constitué une rupture nette pour moi : je ne me voyais pas emprunter cette voie, employer mon temps et mes compétences pour des sujets en lesquels je ne croyais pas, et qui ne résonnaient pas du tout avec les enjeux qui me semblaient cruciaux. Je me suis donc désengagé de ce chemin qui, malgré de nombreux avantages, m’aurait sûrement rendu à terme malheureux.
LP: Qu’est-ce qui a éveillé ta conscience écologique ?
G.P : J’avais développé assez tôt une prise de conscience écologique grâce à des lectures, du contenu sur Internet, des conférences notamment de Jean-Marc Jancovici qui était beaucoup moins connu à l’époque. Je me suis engouffré dans cette brèche, et j’ai rapidement compris qu’il y avait un souci structurel. J’ai fini par développer une forme de dissonance cognitive qui oppose ce que l’on ressent, ce que l’on croit être la bonne chose à faire, avec ce que l’on fait dans son quotidien.
LP: Comment est né le Projet Celsius ?
G.P : Mon intérêt pour l’enjeu climatique s’est amplifié au contact de Clément Reynaud que j’ai rencontré en première année à SupOptique. Il a fait son cursus à Saint-Étienne, puis une thèse à Marseille, mais nous avions toujours gardé le contact, et nous échangions souvent sur ces questions écologiques. Ce qu’il faut noter, c’est qu’à cette période, en 2018, le discours écologique n’était pas encore aussi bien reçu qu’aujourd’hui, et nous passions un peu pour des hippies.
Après ma thèse, et mon expérience avec les cabinets de conseils, j’étais dans un appel avec Clément et je lui ai dit : “Pourquoi est-ce qu’on ne tenterait pas de faire un truc pour essayer de vulgariser le problème ?”. Lui comme moi avions l’impression que sur ces sujets, la recherche scientifique était très bien étayée ; cependant, sa valorisation et sa diffusion l’étaient un peu moins. Nous nous voyions donc comme la passerelle entre la recherche scientifique et le grand public.
LP: Quels sont les types de problèmes ou de difficultés que vous avez rencontré en lançant ce projet ?
G.P : Nous étions deux docteurs en physique, nous n’avions aucune connaissance en entrepreneuriat, et finalement une légitimité très mince sur les sujets climatique, mais nous avions une envie irrépressible d’informer les gens de la crise qui nous menace. Notre objectif était de rendre la recherche scientifique climatique accessible au grand public. Et comment ça s’est fait en pratique : nous avions rejoint un incubateur pour étudier la faisabilité du projet et définir son cadre légal, technique, etc. Après trois mois dans cet incubateur, nous étions sortis avec l’idée de faire des formations, d’abord dans des écoles, puis dans des entreprises aussi. Aujourd’hui, nous avons bien grandi et sommes bien mieux identifiés dans le paysage énergie/climat, ce qui nous permet d’exercer notre activité confortablement, que ce soit pour des formations, des calculs de bilan carbone, des stratégies climat et conseil en entreprise, du développement de matériel pédagogique sur-mesure…
LP: En échangeant avec différents clients (entreprises, étudiant·e·s…), avez-vous remarqué une évolution du rapport qu’ont ces clients avec les sujets écologiques, ou des tendances qui se dessinent selon le profil du client ?
G.P : Sur trois ans, nous avons clairement vu une inflexion de prise de conscience, en commençant par les étudiant·e·s, qui sont beaucoup plus convaincu·e·s et engagé·e·s aujourd’hui. Et même la formation qu’on leur propose a évolué en conséquence : avant, c’était juste une sensibilisation, aujourd’hui c’est un approfondissement et une montée en compétences. Pour les entreprises, les demandes augmentent beaucoup aussi car c’est devenu un enjeu d’image, de marketing, de recrutement… L’exemple le plus typique c’est le bilan carbone : il y a quelques temps, les entreprises qui voulaient faire un bilan-carbone passaient pour des avant-gardistes, maintenant ce sont plutôt ceux qui ne le font pas qui sont à la traîne. Toutefois, le niveau d’implication en faveur de ces enjeux reste très disparate et dépend du secteur d’activité, du ou de la dirigeant·e, de la culture de l’entreprise…
LP: Quels sont, selon toi, les problèmes qui limitent encore la transition écologique ?
G.P : Vaste question, mais je dirais que c’est de manière prioritaire la prise de conscience. Heureusement, on est aujourd’hui au début de l’exponentielle, et chaque jour qui passe, le monde est plus conscient des enjeux climatiques. Il y a également des aspects cognitifs, ces choses dont on parle restent des sujets impalpables qui sont extrêmement difficiles à intégrer, donc il faut fournir un grand effort d’abstraction pour vraiment comprendre les processus qui sous-tendent le règlement climatique.
La transition écologique nécessite des changements radicaux dans la société et dans notre mode de vie : consommer moins, renier à son confort… C’est très difficile, une partie des gens a tendance à se réfugier dans une forme de déni… qui ne durera pas bien longtemps !
LP: As-tu des conseils pour construire une carrière à impact sociétal et écologique ?
G.P : Se renseigner, et questionner la finalité de ce qu’on fait. Se dire qu’en tant qu’ingénieur·e, j’ai des compétences et j’ai envie de répondre à un problème qui touche la société. Où est-ce que je peux m’insérer pour avoir une valeur ajoutée sur des sujets spécifiques ?
LP: Et plus particulièrement, as-tu des conseils pour le choix du premier emploi ?
G.P : Pour moi, un premier emploi, ce n’est pas forcément un choix définitif. Il faut bien y réfléchir, certes, mais il ne faut pas se dire que ça va entériner ta carrière professionnelle. Il faut se déstresser, et surtout, ne pas rester dans un choix qui te déplait. ■