Les blagues sexistes sont-elles sexistes ?
par Yseult Clanet (Agro ParisTech) | Le Paraxial n°5 – 4 octobre 2022
Le sexisme est une discrimination fondée sur le genre d’une personne, lié aux préjugés, stéréotypes et rôle de genre, pouvant comprendre la croyance qu’un sexe ou qu’un genre serait intrinsèquement supérieur à l’autre. Une blague sexiste est donc une blague fondée sur les stéréotypes de genre, sous-entendant souvent que la femme est inférieure à l’homme. Pourtant, beaucoup les défendent : il est du ressort de la susceptibilité que de les trouver violentes et dangereuses, et du ressort de la liberté d’expression que de pouvoir en faire. Les moqueries reprenant les clichés masculin (ils sont obnubilés par la taille de leur sexe, sont vantards, ignorent maladroitement leur faiblesses) sont très rares et restreintes au milieu féministe. Souvent, elles sont perçues comme des expressions de leur haine envers les hommes cisgenres, si bien qu’elles sont appelées blagues misandres.
Selon ce qui précède, les moqueries autour des stéréotypes masculin relèvent de la haine envers hommes, mais celles sous-entendant que les femmes sont inférieures aux hommes ne sont pas problématiques. Il me semble donc intéressant de se demander par quels ressorts les bagues sexistes contre les femmes perdurent et par quels ressorts elles peuvent être perçues comme violentes et dangereuses.
Les blagues sexistes détestent les femmes
Jusqu’au XXème siècle, les femmes n’avaient pas le droit de travailler. Leur place était donc réellement cantonnée à la cuisine. Et pour cause : on les considérait comme des êtres mineurs, des corps à enfanter, une façon d’enrichir la famille en les mariant. La société a toujours été réticente à leur accorder des droits, les considérants immatures et incapables. L’histoire de la femme est injuste et sombre. Les blagues sexistes, rappellent cette histoire et en sont le produit, et il semble compréhensible qu’elles provoquent l’effet opposé à celui recherché, le rire. Certains pensent qu’il est inoffensif de rire du sexisme car celui-ci est révolu, il paraît donc important de rappeler que :
Sur les 120 plus grandes entreprises de France, seulement 3 comprennent des femmes dans leur direction. On compte un féminicide tous les 7 jours, 1 femme sur 10 violée en France.
Ces chiffres montrent qu’il est plus difficile d’évoluer professionnellement et personnellement lorsque l’on est une fille, et d’autant plus dans des écoles d’ingénieurs avec une majorité d’hommes (élèves comme professeurs) et une dominante scientifique (historiquement réservé aux hommes). Alors, rappeler constamment à ses amies que « ta place est dans la cuisine » ; « c’est bien un truc de fille » ou encore « femme au volant, mort au tournant » semble moins opportun que de les pousser à aller au bout de leurs ambitions, en étant attentif·ve·s à leur laisser la place nécessaire.
Considérer les blagues sexistes comme inoffensives nie l’actualité de la condition des femmes et la gravité de leur position historique dans la société.
Si la blague sexiste est la première chose qui vienne à l’esprit dans une situation donnée, elle résulte d’un réflexe comportemental. Dire « elle, je lui mettrais bien un pénalty » en voyant une fille marcher dans la rue n’est pas si anodin. La femme est sexualisée pour la simple raison qu’elle marchait dans la rue et que son corps a été remarqué. Alors, ni sa personne ni son avis ne compte, seul le fait raconter à ses ami·e·s qu’on lui “mettrait cher” traverse l’esprit.
Ainsi, un environnement avec des blagues sexistes entraîne, mine de rien, plus de propos et réflexes sexualisants et dénigrants, et donc, plus de violences.
Dans un environnement où les blagues sexistes sont la base de l’humour, on sexualise un petit peu plus la femme, on l’objectifie un petit peu plus, on prend un petit peu plus le risque qu’un jour, un copain oublie de demander, ou d’entendre le non d’une copine, et la viole.
Les violences sexuelles étant beaucoup plus insidieuse qu’une affaire de grand malade-mentaux- qui-violent-des-filles, il me semble important de ne pas prendre de risques.
Si les blagues sexistes sont causes de violences, qu’en est-il de l’alcool, des chansons paillardes, du porno, des drogues, de la nuit ? On ne peut plus rien faire ! Il semble en effet que les violences faites aux femmes soient multifactorielles, et que le sexisme soit partout. C’est pourquoi il est d’autant plus important de faire très attention à ne pas l’amplifier.
Pour cela, il faut comprendre que même si l’on ne veut pas à mal, et qu’évidemment l’on est pour l’égalité des genres, nos propos peuvent blesser, et rendre à certain·e·s la vie beaucoup plus compliquée.
Il semble également important de rappeler que, dans un contexte de lutte pour plus d’égalité et de protection contre les violences sexuelles et sexistes, les blagues rappelant que les filles n’ont qu’à retourner à la cuisine ou les chansons paillardes peuvent être perçues comme un crachat au visage, signifiant : « Vous pourrez vous battre autant que vous voulez pour qu’il y ait moins de mortes, de violées, plus de confiance, plus de droit ou de bonheur, vous serez toujours montrées du doigt. Se moquer de vous sera normal, parce qu’au fond, ce n’est pas si grave ».
Faire attention à ce que nos propos restent ostentatoirement non-dégradant revient-il à diminuer notre liberté d’expression ?
Si l’on considère que la liberté s’arrête là où commence celle d’autrui, alors on peut planter les fleurs que l’on veut dans son propre jardin, et faire attention à ne pas en planter dans celui d’autrui. Ainsi, se sentir libre d’imposer des propos blessants (et interdits par la loi) pour une blague revient à considérer un jardin public comme le sien.
Longtemps, les hommes cisgenres ont été les seuls à avoir accès au jardin public pour y planter les fleurs qui leur plaisaient, sans se soucier de l’avis des autres. C’est pourquoi il est maintenant primordial de reconsidérer ces jardins comme publics, et d’écouter l’avis des autres sur les fleurs qu’on y plante. ■