Le stage détecteur FOCUS à l’Observatoire de Haute-Provence : des gros télescopes, de l’infrarouge et des filés d’étoiles
par Corentin Le Pendu | Le Paraxial n°16 – 13 décembre 2023
Réalisé lors d’une semaine spécifique en 2A début novembre, je vais revenir sur ce stage magique sous les étoiles où nous avons photographié des aurores boréales, manipulé de gros télescopes et découvert les principes de bases des détecteurs dans le visible et l’infrarouge.
Qu’est-ce que l’OHP ?
L’OHP est un observatoire géré par le CNRS construit en 1937 près de Forcalquier. Le site de l’observatoire est assez grand et permet d’accueillir des étudiants et d’utiliser les nombreux télescopes du site quand la météo le permet. Il y a une dizaine de télescopes sur le site allant jusqu’à 193cm de diamètre, ce qui est énorme par rapport aux télescopes amateurs et aux télescopes en métropole française : le plus gros télescope que notre club possède à 30cm de diamètre et le plus grand télescope optique de France métropolitaine culmine au Pic du Midi avec ses 200cm de diamètre. Le T193 de l’OHP est le télescope ayant permis la première détection d’exoplanète en 1995. Ce dernier est encore utilisé de nos jours pour des observations professionnelles et n’est donc pas utilisé par les étudiants venant en stage.
Le stage LABEX Focus
Inscrit au sein d’une semaine spécifique en 2ème année, le stage permet à une petite dizaine d’étudiants de Supop d’aller étudier les détecteurs appliqués à l’astronomie ainsi que les principes de bases de l’imagerie en astronomie.
Les premiers cours consistaient en un rappel sur l’optique et la radiométrie afin de nous familiariser avec le langage utilisé par les encadrants des TPs sous coupole. Nous avons ensuite eu notre premier cours sur les détecteurs qui nous a exposé le fonctionnement des capteurs CCD et CMOS et les problématiques qui viennent avec.
Les capteurs
Le capteur CCD (pour Charge-Coupled Device) est le premier type de capteur inventé en 1969. Toujours en utilisation dans la plupart des observatoires, le principe des CCD repose sur l’utilisation de photodiodes placées sur une grille. Les photodiodes permettent la production de photo-électrons lors de la réception de photons. Ces électrons sont ensuite déplacés le long de leur colonne pour arriver sur une ligne qui va elle-même déplacer les charges jusqu’au bout de la chaîne où aura lieu l’amplification puis la lecture. L’image des seaux d’eau représente très bien ce fonctionnement ainsi que plusieurs phénomènes rencontrés lors de l’utilisation d’un capteur CCD ou CMOS.
Un peu de bruit
L’analogie la plus simple est celle avec le bruit de photon. Ce bruit est fondamental en imagerie et nous place une limite sur ce qui peut être détecté : la nature corpusculaire de la lumière fait que nous mesurons une quantité discrète de photons (ou de gouttes d’eau pour faire l’analogie avec le schéma) qui arrivent de manière aléatoire sur le détecteur. Cette probabilité suit une loi de Poisson : pour un nombre moyen de N photons arrivant sur le détecteur sur un intervalle de temps T, le rapport signal à bruit est égal à la racine carré de N. Pour une même source et un même T, chaque seau va être aléatoirement plus ou moins bien rempli que son voisin ce qui cause le fameux “grain” sur les images dites bruitées.
Les gouttes peuvent aussi tomber à côté des seaux, traduisant le fait que la surface sensible à la lumière n’occupe pas toute la surface des photosites ce qui nous fait perdre en signal. Un des phénomènes propre aux capteurs CCD est le déplacement de charge le long de colonnes puis d’une ligne. En faisant l’analogie avec les seaux, il est simple d’appréhender le principe du bruit de lecture. Lors du transfert du contenu d’un seau à un autre, de l’eau peut rester dans le seau initial car il a mal été versé : c’est en réalité pour les électrons ce qu’on appelle l’efficacité du transfert de charges. Ce phénomène est en partie responsable du bruit de lecture : un bruit inhérent au capteur et présent peu importe le temps de pose, l’illumination du capteur ou la température. Il reste plusieurs autres phénomènes qui vont venir bruiter la mesure mais ils ont déjà été bien décrits dans le précédent numéro du Paraxial par Thomas Gabillet à la page 10.
Nous avons aussi au cours de la semaine abordé des notions de traitement du signal, d’imagerie infrarouge et sur la turbulence atmosphérique dont je vais parler maintenant.
La turbulence : cause du scintillement des étoiles dans le ciel
La turbulence est la plus grosse problématique rencontrée lors de l’observation du ciel avec de gros instruments. En effet, lorsqu’une onde plane nous provient d’un objet lointain et arrive sur Terre, elle traverse de nombreuses couches d’atmosphère turbulentes qui ont des indices rapidement variables et l’onde plane se retrouve perturbée. Ces perturbations peuvent être dénommées par le terme de « seeing ». Plus le seeing est bon, moins il y a de turbulence et plus l’onde plane provenant de l’espace est proche d’une onde plane quand elle arrive sur la pupille de l’instrument. Il est intéressant d’introduire le paramètre r0 afin d’en savoir plus sur l’impact de l’atmosphère sur les performances d’un instrument. r0 correspond au « nouveau » diamètre de notre télescope limité par l’atmosphère turbulent et on a alors une nouvelle limite de l’instrument donnée par : 1.22*lambda/r0. r0 peut être vu comme la taille caractéristique moyenne des poches de turbulences cohérentes entre elles pour un temps d’intégration supérieur au temps moyen d’évolution moyen de la turbulence. En moyenne à l’OHP, nous avons un r0 d’une dizaine de centimètres, ce qui est bien inférieur au diamètre des instruments utilisés. Pour résumer, la turbulence place une limite sur la résolution des instruments terrestres lorsque les temps d’intégration dépassent le temps de variation caractéristique de la turbulence qui fait qu’au lieu d’avoir le pouvoir de résolution d’un télescope de plus de 100 centimètres, nous nous retrouvons avec l’équivalent d’un télescope de quelques dizaines de centimètres.
Les TPs sous coupoles et les photos
La partie “importante” de la semaine réside quand même dans les soirées d’observations. Par chance, ou malchance pour notre sommeil, nous avons eu une météo clémente tous les soirs de la semaine. Les Tps commencent à 21h et terminent à minuit, les courageux peuvent rester assez tard sous les coupoles ou juste pour profiter du beau ciel du sud de la France, résistant parfois jusqu’à 4h du matin pour des cours qui commencent à 10h. Les TPs sont une application directe des principes étudiés en cours. Il y a par exemple eu un TP sur une manip d’optique adaptative, plusieurs TPs d’imagerie ou encore un TP sur l’interférométrie de speckle. Finalement nous avons eu plusieurs cours et TP sur l’imagerie infrarouge où nous avons expérimenté avec différentes caméras, les résultats sont très surprenants : on est blond dans l’IR et on a tous l’air de super saiyan, une photo du groupe a été prise et est un peu plus loin pour clore l’article.
Deux photos avec des temps de pose sérieux ont été réalisées lors des TP avec le T120 (newton de 120cm de diamètre) sur deux nuits
Cette semaine aura aussi été l’occasion de réaliser beaucoup de filés d’étoiles grâce aux conseils d’Isabelle Ribet qui nous a encadré pendant la semaine. Un filé d’étoiles correspond à un ensemble de photos de longue pose additionnées entre elles pour former ces belles traînées. La photo de droite a été capturée par François à l’aide de son iphone au T193 et j’ai pris celle de gauche au T120 avec un appareil photo (les smartphones offrent de très bons résultats !). ■