Rencontre à Pasqal 

Fondée il y a trois ans dans les laboratoires de SupOptique, Pasqal a ouvert les portes de ses bureaux de Massy au Paraxial. Récit d’une visite passionnante… 

Grâce à Théo Bandini (P25), en apprentissage à Pasqal, nous avons eu l’opportunité de pouvoir rencontrer quelques membres de cette entreprise et de découvrir leurs installations. Pasqal, c’est la volonté de concrétiser les recherches formidables réalisées dans le domaine de la quantique, notamment grâce à Alain Aspect, pour avancer vers le fameux ordinateur quantique, qui fait tant rêver ! 

Notre guide pour cette visite est Jessica Pellegrino, ingénieure à Pasqal. Nous avons pu visiter les salles de mise au point des bancs optiques qui seront intégrés dans le fonctionnement de l’ordinateur. L’objectif est de pouvoir créer des pinces optiques pour manipuler des atomes froids de rubidium, qui vont permettre de réaliser des opérations quantiques. 

Chez Pasqal, on s’occupe du hardware (construction des ordinateurs, réalisation des bancs optiques et des systèmes laser) ainsi que du software (réalisation des calculs, manipulation des données). 

Actuellement, une structure d’ordinateur quantique est terminée, trois autres sont en construction. Dans ces très grandes structures coexistent des bancs optiques et des lasers, des systèmes de refroidissement et de grandes poutres métalliques pour soutenir ces structures (plus de 2m de haut pour 2m de côté). Ces ordinateurs actuels sont demandés par des clients pour traiter des problèmes qui sont tout d’abord traduits sous forme de matrices. On crée alors des matrices d’atome correspondantes, et les probabilités de présence permettront de résoudre ces calculs. 

Au milieu de ces salles, nous observons un foisonnement de câbles, de lignes de code qui défilent sur les écrans, le tout dans un environnement très détendu et agréable. 

Après ces découvertes et encore un peu déboussolés des raisonnements scientifiques qui viennent de s’offrir à nous, nous nous installons à la cafétéria pour échanger plus particulièrement avec Jessica et son parcours. 

Jessica Pellegrino : J’ai été élève à l’Institut d’Optique, promo 2011. J’ai été en apprentissage durant mes deux dernières années au sein du Laboratoire Charles Fabry, dans l’équipe Laser, sur des développements de lasers semi-conducteurs pour des applications d’horloges atomiques. Ensuite, j’ai enchaîné sur une thèse dont le sujet portait sur le développement de sources paramétriques optiques pour des applications LIDAR. Au cours de ma thèse, j’ai travaillé sur deux types de sources différentes. Le premier type était une source à 2µm pour la mesure du CO2 depuis l’espace par application LIDAR. Le second était dédié à sur des applications industrielles : mesure de polluants industriels, types COX (CO2, etc.) et NOX (NO2, etc.) à 33µm. J’ai principalement travaillé sur les sources laser et fait un tout petit peu de mesure. 

A la fin de ma thèse, j’ai enchaîné sur un poste à l’École Polytechnique en tant qu’ingénieure de recherche sur un sujet qui était dans la continuité de ma thèse. Il consistait à créer une source  laser à base de cristaux solides de type HO:YLF pour aller à 2.051µm. L’application visée pour ce développement était la mesure de gaz à effets de serre dans l’atmosphère depuis satellite. Je devais développer une source double-pulse : qui génère deux impulsions appelées ON et OFF. Il faut savoir que lors de la mesure par méthode LIDAR – DIAL, qui est une mesure par absorption différentielle, on utilise deux longueurs d’onde différentes : la première est absorbée par notre composant (impulsion ON), mais pas la deuxième (impulsion OFF). En faisant la différence des deux, on est capable de remonter à la concentration du gaz sondé. Pour ce projet, il était nécessaire de générer ces deux longueurs d’ondes séparées de quelques centaines de microsecondes pour pouvoir sonder rapidement l’atmosphère et ne pas avoir de variations en position dues au déplacement du satellite. Ces deux impulsions étaient très rapprochées et sur une cadence cible de l’ordre du kHz. L’ensemble de ces développement ont été réalisé dans le cadre d’un projet ESA.  

Comme je ne me plaisais pas là où j’étais, je suis partie travailler dans une petite structure qui s’appelait Force-A. Cette entreprise développait des instruments de mesure pour l’aide à la décision dans l’agriculture et plus précisément la viticulture. Le principe de l’instrument était basé sur la fluorescence des plantes (feuilles ou fruits) pour étudier la concentration de certains composants caractéristiques. Dans le cadre de mon travail, j’ai développé un instrument dédié à l’étude du raison et de sa maturation. La méthode de mesure est basée sur la mesure différentielle de fluorescence à deux longueurs d’onde On et OFF. Ainsi, il est possible de remonter à la concentration du composant d’intérêt à savoir l’Antocyane pour le raisin Au cours de cette expérience, j’ai pu travailler depuis la conception jusqu’à la mise sur le terrain et la préparation d’une petite série d’appareils. J’ai vraiment vu tout le cycle de développement d’un petit instrument qui tenait dans la main. J’ai eu l’occasion de pouvoir partir en campagne de mesure, en France et à l’étranger.  

Malheureusement l’entreprise a fermé et je suis partie à Horiba développé des spectro-imageurs. Un spectromètre classique permet de connaître le spectre d’une source quelconque laser ou incohérente. Ici, on souhaitait avoir une information sur le spectre mais également sur la position de l’élément. Imaginez un tapis de tri de déchets sur lequel vous avez plusieurs types de plastiques : chaque plastique aura une signature spectrale particulière. Ainsi le spectro-imageur nous permet ici d’avoir le spectre de chaque point sur cette ligne de tri de déchets et ainsi permettre l’identification et le tri des plastiques. J’ai travaillé sur ces instruments pendant 2 ans : de la conception jusqu’au contact client, avec une partie également de développement software où j’ai pu développer un programme python permettant de réaliser la caractérisation et l’alignement de ces éléments de manière plus rapide et en quasi temps réel. J’ai été au contact de clients plusieurs fois également pour discuter avec eux des différents problèmes et retours d’expérience. Et maintenant je suis à Pasqal depuis un an et demi et aujourd’hui je suis responsable d’une équipe de cinq personnes : Optique & Systèmes Laser. 

JP : Je travaille principalement avec l’équipe Opto-Mécanique. J’interagis aussi avec l’équipe Software et Electronic. On travaille également avec l’équipe Systèmes qui a une expertise sur la physique quantique. Les membres de cette équipe vont fournir des spécifications et analyser les performances des opérations comme par exemple analyser et déterminer les sources problématiques lorsque le système ne répond pas correctement. On a également des chefs de projet avec qui on interagit beaucoup pour la coordination des activités. Par exemple, Pasqal a un projet de livrer trois machines d’ici le milieu de l’année prochaine. Mon équipe est l’une des plus féminines : en me comptant, nous sommes quatre filles sur six personnes !  

JP : Nous sommes quasiment 210 personnes réparties dans le monde. Notre deuxième plus grand site est à Amsterdam où il y a 20-25 personnes. On a ouvert un site à Sherbrooke, au Canada, où ils sont entre 10 et 15. Et l’année prochaine on ouvrira des sites aux Etats-Unis, Asie, Moyen-Orient 

JP : Justement on a des projets communs avec Exail qui développe certaines sources spécifiquement pour nous. Aujourd’hui on aurait 2 sources potentielles avec Exail et avec d’autres partenaires on travaille également sur d’autres développements côté sources lasers. On a également fait appel à un sous-traitant sur un de nos bancs pour la conception, la réalisation, la caractérisation et la validation. Donc une grosse partie est faite en interne mais on a également des partenariats avec des entreprises et des labos. On est aussi en partenariat avec l’Institut d’Optique à Bordeaux sur un projet appelé NextWaveQPU.  

Claire Vincent : A aucun niveau, parce qu’ils ne travaillent pas sur la même chose. On est les seuls en Europe aujourd’hui à travailler sur notre technologie. Quandela (ou Alice&Bob, une autre entreprise) sont très bonnes aussi mais travaillent sur une technologie qui est complètement différente. Ce n’est pas comme avec IBM par exemple, qui travaille sur la même technologie et avec qui on peut faire des comparatifs. Il y a une grande bienveillance entre nous d’ailleurs. 

JP : Il y a une course, c’est sûr, mais aujourd’hui on ne sait pas laquelle de ces technologies peut l’emporter – on appelle cela l’avantage quantique – et même tout simplement, est-ce qu’une technologie quantique va l’emporter ? Je ne crois pas forcément en une technologie plus qu’une autre, si j’ai postulé c’est parce que je trouvais que c’était un très beau projet et je connaissais un petit peu la technologie par ailleurs car mon mari travaillait dans l’équipe d’Antoine Broaweys . 

Lucas, un autre ingénieur de Pasqal, passe à ce moment-là derrière nous et nous apporte une réponse. 

Lucas : Alors ça n’a rien à voir ! Quandela travaille avec des sources de photon unique alors que nous on travaille avec les atomes et la lumière. La manipulation et les applications qu’on peut en faire sont très différentes. Quandela ne peut pas faire de calcul analogue comme Pasqal par exemple. 

Commentaire de Lucas Lassabliere :  

  • Les défis technologiques sont très différents entre nos deux technologies. A Pasqal par exemple, il est très facile d’augmenter le nombre de qubits alors que pour Quandela c’est plus difficile. A l’inverse, il a des choses qui sont plus difficiles à Pasqal mais plus facile à Quandela (Taux de répétition de la machine 
  • Pour les applications, en réalité on peut faire des choses très similaires (j’ai regardé ce qu’ils peuvent faire après notre discussion) mais on s’est orienté sur des chemins différents. Quandela s’est orienté sur des chemins différents. Quandela s’est orienté initialement sur l’approche porte alors que Pasqal plutôt sur le côté Analogue. 

Cependant, Quandela peut également faire du calcul analogue (et Pasqal des portes) mais notre plateforme à atome neutre permet beaucoup plus facilement de traduire un problème de graphes (I.E un type de calcul analogue) en un calcul sur QPUs (quantum processing units) par exemple « un théoricien du Hardware » 

Commentaire de Lucas Lassabliere :  

Un hamiltonien décrit le système entier et les interactions entres atomes, et la résolution de l’équation de Scrodinger est similaire à celle d’un système usuel. Donc en conclusion, on éclaire le système en entier, on le laisse évoluer, l’équation de Schrodinger se résout naturellement et il n’y a plus qu’à faire des mesures de temps en temps » 

Lucas : Personnellement je suis dans l’équipe Hardware, un théoricien du Hardware et j’effectue des simulations pour aider les expérimentateurs. Et je fais aussi l’interface avec l’équipe qui design les algorithmes. 

Commentaire de Lucas Lassabliere : 

La dynamique quantique est décrite par un hamiltonien dit d’Insing, qui décrit les interactions entre les atomes et la lumière. Cet Hamiltonien prend exactement la même forme que des équations classiques à résoudre (optimisation, matière condensée, etc.) Il suffit donc de laisser évoluer le système et de prendre des mesures aux moments opportuns pour résoudre ces équations.  

En quantique pour faire des calculs, il y a globalement deux façons de faire : soit faire des portes, proches des bits classiques avec lesquelles on va pouvoir faire additions, soustractions, etc. Et pour faire ces portes, il est nécessaire de targetter les atomes individuellement avec des lasers pour faire des opérations à l’échelle des qubits. Sinon, lors du calcul analogue, on éclaire tous les atomes en même temps. Un hamiltonien décrit le système entier et les interactions entre atomes, et la résolution de l’équation de Schrödinger est similaire à celle d’un système usuel. Donc en conclusion, on éclaire le système en entier, on le laisse évoluer, l’équation de Schrödinger se résout naturellement et il n’y a plus qu’à faire des mesures de temps en temps. 

JP :  Le chercheur va plutôt travailler sur de nouvelles fonctions, de nouveaux systèmes. Par exemple, il va montrer que cette manière de faire est bien meilleure que celle que l’on a actuellement. L’ingénieur va plutôt prendre cette technologie et l’amener à une maturité suffisante pour l’intégrer à une machine. Sur le métier d’ingénieur, on va plutôt devoir vérifier que le système est stable ou qu’il fonctionne 24h/24, 7j/7. Il faut donc trouver des manières de faire en collaboration avec nos équipes Hardware, Software, Opto-Mécanique. 

JP :  Aujourd’hui on a deux types de services : la vente de machines (grands centres de calcul par exemple) mais aussi la location de temps de calculs pour le militaire, le médical, la banque, les assurances, etc.  

JP :  Aujourd’hui non. Les clients intéressés veulent plutôt voir ce que notre technologie est capable de faire aujourd’hui et quelles seront les solutions futures qui permettront d’atteindre l’avantage quantique. 

JP :  Courant d’année prochaine, on aimerait pouvoir démontrer certaines avancées sur l’avantage quantique mais aujourd’hui on ne sait pas quand est-ce qu’on pourra le démontrer en tant que tel. Et même tout simplement, on ne sait pas toujours bien comment le définir : si vous demandez à plusieurs personnes, vous aurez probablement des réponses différentes. 

JP :  Selon moi, on attend de l’ordinateur quantique qu’il soit plus performant que l’ordinateur classique sur lesquels certains calculs sont encore très très longs voire impossibles aujourd’hui. 

JP :  J’ai actuellement une personne qui vient de l’Institut d’Optique (promo 21); un technicien optique sénior qui a 25 ans d’expérience; une cheffe de projet qui est réunionnaise; une profil junior qui vient de l’ENSSAT à Lannion et qui a un an d’expérience; et enfin la dernière personne vient de Suède et a eu, suite à sa thèse, quatre ans d’expérience dans une entreprise.  

JP :  Non pas du tout, cela dépend du profil que l’on recherche. L’année prochaine par exemple, j’aurai probablement besoin d’un profil junior et d’un profil sénior. 

JP & CV :  Alors c’est une très bonne question, je ne me l’étais jamais posée ! En fait cela dépend des missions associées à la fiche de poste. Un junior veut acquérir de l’expérience et peut être intéressé par un poste qui ne plaira pas au sénior qui s’ennuierait sur un sujet très axé sur la manipulation. Par exemple, si j’ai un poste ouvert sur Coordinateur de Projets Lasers, je vais avoir besoin de quelqu’un qui a de l’expérience mais si au contraire je veux ouvrir une fiche de poste sur la Caractérisation des Lasers, un junior conviendrait mieux. Parfois on rédige une fiche de poste et on avait prévu quelqu’un avec un peu d’expérience, 5 ans par exemple et en fonction des candidats on se rend compte qu’un junior est plus adapté finalement, rien n’est figé. 

JP :  Alors il n’y en aucun de notre côté en Engineering mais quelques-uns en R&D, seulement 2 ou 3 mais l’année dernière nous étions 90, cette année 210 donc il y en aura peut-être plus à l’avenir. On a un apprenti sup opticien depuis l’an dernier également. ■

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